Pamiers - Site L'Atelier de Colette

L'Atelier de Colette
Aller au contenu
Les News

Pamiers

-Tu t’es levée du pied gauche ? me disait ma mère en voyant ma tête des mauvais jours.
Elle employait souvent ces dictons ou expressions locales, mon père faisait de même.

Ainsi, ces petites phrases imagées ponctuaient les journées.

« l’avenir appartient à celui qui se lève tôt »
« qui sème le vent récolte la tempête »
« comme on fait son lit on se couche »
« bien mal acquit ne profite jamais »
« il met la charrue avant les bœufs »
« il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué »
« mouche-toi et dis bonjour à la dame »
« comme on fait son lit on se couche » …

Il y avait aussi ceux relatif au climat :
«En avril ne te découvre pas d’un fil, en mai fais ce qu’il te plait ».
On était bien surpris par les frimas de mai si on appliquait ce dicton à la lettre.

Dans ma tendre enfance, à Lormont, lorsque je rendais visite à Monette, l’amie de maman, et que je manifestais mon ennui elle me rétorquait « gratte-toi l’os de la jambe ».
J’étais terrifiée par l’image que me suggérait cette phrase.
Curieux tout de même ! Je n’ai jamais essayé bien entendu de passer à l’acte d’autant qu’Albert, son mari, était boucher possédant des couteaux redoutables qu’il aiguisait lestement.
Plus tard je lui demandais pourquoi elle employait cette formule mais elle ne trouva pas d’explication.

                                                                 ******

Février 1956

La neige s’abattit en abondance sur la France. Des hauteurs jamais atteintes d’après les anciens et les documents d’époque.
Une vague de froid s’ensuivit qui paralysa toute circulation pendant 24 jours.
A Toulouse le canal du midi était gelé, les caniveaux, les fontaines se couvraient de glace.
Nos habitations mal isolées et mal chauffées ajoutaient à l’inconfort. Nous nous vêtions en rajoutant des couches de vêtements, de chaussettes, de bonnets, d’écharpes et de gants.
J’étais bien jeune à cette époque, pourtant je me souviens encore aujourd’hui de ce froid qui nous tenaillait. Les poêles et les mirus ronflaient jour et nuit. Les livreurs de charbon et de bois avaient du mal à satisfaire la clientèle.

« Michou rentre de l’école avec son gros cartable, il déploie sa science sous la lampe tandis qu’auprès du mirus ronflant se groupe le reste de la famille ».
     Raymond Queneau « loin de Rueil » Gallimard 1944  

On tricotait avec maman tout près du poêle. Elle m’avait initié très tôt aux travaux d’aiguilles, crochets mais aussi à la broderie et la couture en tout genre.
Le tricot et la couture était une pratique nécessaire dans ces temps-là. On rallongeait, on raccourcissait, on rapiéçait, on raccommodait et on tricotait.
Il était courant de rallonger les pantalons des communiants car un costume coutait cher et ne servait qu’une fois.
A la campagne les « bleus » de travail avaient plusieurs pièces souvent de couleur différente mais personne ne s’offusquait de ces patchworks.
Maman détricotait aussi des vieux pulls qu’elle mettait en écheveaux.
Elle avait besoin pour cela de mes bras ou ceux de papa. En détricotant le pull elle entourait la laine autour de nos bras en rang régulier et nous rappelait gentiment à l’ordre lorsque l’exercice ramollissait nos membres. Ensuite elle attachait l’écheveau avec un morceau de laine.
Après lavage et séchage on tendait à nouveau les bras. Maman confectionnait une pelote en ayant soin de tourner l’ouvrage régulièrement pour que la pelote soit bien ronde.
Si nos bras n’étaient pas disponibles alors maman se servait du dos d’une chaise.
Donc en ce mois rigoureux nous tricotions, maman des chaussettes et des pulls, moi des écharpes.


Les températures descendaient vertigineusement créant des paysages féériques par endroits. A Pamiers le thermomètre affichait – 20°.  
Les photos de l’époque montrent des villes ressemblants à des stations de skis, des fontaines, des ponts, habillés de stalactites, plus beaux les uns que les autres.
L’Abbé Pierre demande à la préfecture de Paris d’installer des braseros dans les rues et des cantines roulantes.

Le réveil fut douloureux pour certains, 80% des vignes du Sud-ouest furent détruites.

                         

                                   Rue de Bordeaux         Fontaine Ste Etienne Toulouse

En Provence les oliviers craquaient, éclataient et mouraient.
Plus d’un million périrent et cinq millions ont été rabattus.

« Après le rude hiver de 1956 on vit apparaître le squelette des oliviers. Jusque-là ils avaient été grecs de la belle époque ; brusquement, ils s’étaient dépaysés, ils avaient voyagé dans le temps et dans l’espace jusqu’à la brutalité et la sauvagerie des totems, ils couvraient désormais les collines de diagrammes rituels ce que les poètes avaient fait du chevalier, de la dame, du moine, du pape, de l’empereur du moyen âge dans les danses macabres, le gel l’avait fait avec les arbres, et surtout avec les arbres éternels ».    
Jean Giono

                                                                     **********     
                                    
Mme Balard (son nom m’est revenu), notre propriétaire, vint nous annoncer que les travaux de l’appartement tant désiré allaient enfin commencer.
C’est ainsi que quelques semaines plus tard, en cette fin de printemps où la nature reprend ses droits, nous avons intégré le premier étage.
Notre propriétaire n’avait pas engagé non plus des travaux pharamineux. Dans une pièce donnant sur le jardin, un évier avec l’eau courante, au-dessus un petit chauffe-eau, un tuyau d’évacuation pour la cuisinière, sur le sol un linoléum.
Entre la cuisine et la pièce qui nous servira de salle à manger un coin salle d’eau avec wc et douche. Ce n’était pas si mal !
Nous allions avoir pour quelques années une vie « normale ».

Au-dessus du frigidaire notre petit poste de radio avait naturellement trouvé sa place. On écoutait de la musique surtout la variété française, mon père ne manquait pas les informations et le dimanche il écoutait sur Radio Toulouse « Catinou et Jacouti », couple burlesque qui dialoguait uniquement en occitan.
Je n’y comprenais rien mais mes parents riaient beaucoup.

On ne manquait pas l’émission créait par Pierre Dac et Francis Blanche « signé Furax ». Ce feuilleton radiophonique journalier de dix minutes racontait l’histoire de deux détectives Black and White aux prises avec le dangereux criminel Edmond Furax. Des dialogues délirants et loufoques où après un silence, Pierre Dac disait « Chut Monsieur Maurice vient de passer » !

Dans la salle à manger, suffisamment grande, le bureau du Rex avait trouvé sa place ainsi que les deux fauteuils rouges.
Le vieux tourne-disque de notre cinéma de Lormont était installé sur le meuble de rangement avec tous les 78 tours.
Et enfin sur le bureau trônait le téléphone en bakélite noir.

Nous avions toute la maison pour nous ainsi que le jardin ce qui ne durera pas.


           Notre maison 12 place Albert Tournier  de 54 à 65 – photo prise en août 2020

                                                                 *******

Mes parents m’avaient trouvé une occupation au cinéma les après-midi ou soirées lorsque les cours scolaires le permettaient.
J’étais chargée de couper les tickets et de donner le carton de sortie à l’entracte.
Ce dernier était une simple formalité car les fraudeurs n’existaient pas.
Ce travail n’était pas fatigant ni déplaisant. Cela me donnait une certaine responsabilité mais au fur et à mesure des années je n’en voyais que les inconvénients, une contrainte qui me privait de rejoindre mes copains.
Mes amies proches avaient entrée libre.

J’adorais chanter. Les possibilités d’exercer étaient restreintes c’est pourquoi je fis partie de la chorale de l’Eglise du Camp, ma paroisse. Les répétitions se passaient dans les locaux de l’église dans une pièce mal chauffée mais qui possédait un harmonium. Nous exercions nos talents le dimanche à la messe chantée de 10h et demi.
On ne nous voyait guère car situées derrière l’autel mais l’essentiel était d’être entendues.
Et nous donnions avec justesse et quelques fois puissance des « plus près de toi mon Dieu » et des « Aaaamen ».
Je regrettais que nous ne puissions chanter à la « Grand messe » car il y avait beaucoup plus de monde et où les fidèles se paraient de leurs plus beaux atours, beaux costumes, belles robes et beaux chapeaux.

Donc, après la messe, je me dirigeais vers le cinéma situé à deux pas de là pour accomplir l’une de mes tâches confiée par mes parents.
Lorsque maman n’avait pas prévu de dessert « maison », je faisais un petit crochet à la pâtisserie de la maison « Chaminaud » ou « Nègre ».
Un baba au rhum ou une crème au beurre pour papa qu’il continuait d’appeler « succès » son nom bordelais. Maman et moi n’étions pas fixées sur une catégorie.
Après avoir allumé la chaudière, les jours d’hiver, je me plaçais derrière la caisse pour attendre les spectateurs qui venaient réserver leur place pour la matinée ou la soirée.
Je faisais une croix sur le plan et marquais le numéro de la place au dos du ticket.
Je me souviens d’un couple âgé qui venait imparablement réserver leurs places au balcon tous les dimanches sièges E 15 et 16.
Cela les rassurait, ils étaient un peu comme chez eux.

A midi je refermais les portes du cinéma et me dirigeais vers la maison pour déguster le traditionnel poulet, garni en son ventre de croûtons aillés suivi du dessert.
L’été je ramenais quelques fois une glace, je devais alors courir vers la maison pour la placer rapidement dans le freezer.

Je touchais un petit pécule pour mon travail que maman plaçait à la caisse d’épargne. Je ne pourrais en bénéficier qu’à ma majorité c’est-à-dire 21 ans.
Mes parents voulaient me montrer ainsi que tout travail mérite salaire mais qu’il fallait aussi économiser le fruit de son labeur.
Mais bien sûr par ailleurs je ne manquais de rien et en ce temps-là les exigences étaient modestes.

                                                                        *********

Il était tout naturel pour moi, après avoir accompli mon travail, de m’installer dans un fauteuil de l’orchestre ou du balcon, enfin pour certains films je n’avais pas trop le choix, le spectateur était prioritaire.

En ce printemps 1956, j’avais déjà vu certains films de la magnifique actrice Grace Kelly, « le train sifflera 3 fois » mais aussi « fenêtre sur cour ».
Ses partenaires étaient tellement beaux, élégants, elle était si belle.
Je rêvais.
Et voilà que les journaux et les actualités de Gaumont annoncent que Grace renonce à sa carrière d’actrice pour épouser un prince.
C’est au cours du tournage du film « le crime était presque parfait » qu’elle rencontra le prince Rainier.
Ce mariage glamour eut lieu le 14 avril 1956 et fit grand bruit.
On perdait une actrice, on gagnait une princesse.

Dans cette même année fut projeté au cinéma REX « Autant en emporte le vent ».
Sorti aux Etats-Unis avant la guerre, il ne sortit en France qu’après celle-ci et en deux épisodes.
C’était la coutume pour certains films d’avoir plusieurs épisodes.
J’étais complètement subjuguée par ce film. Je prenais complètement partie pour Scarlett qui pourtant était bien capricieuse, révoltée, passionnée mais si belle dans ses fabuleuses robes.
Cette guerre dont je n’avais jamais entendu parler me semblait terrifiante, c’est la première fois que j’entendais parler de « guerre civile ». Je m’apitoyais sur le sort des esclaves. Enfin j’étais dans le film et attendre le deuxième épisode fut un supplice.
A la dernière image je pleurais toutes les larmes de mon corps de jeune adolescente.
Il y avait tellement de spectateurs que certains étaient assis sur les marches du balcon où je pris place également.

En 1968, j’ai revu ce film, projeté en 70 mm, au Gaumont-Palace à Paris, aujourd’hui détruit.
Une salle de six mille spectateurs. Un écran de 25 m de long sur 13 m de hauteur légèrement convexe.
J’étais au 20° rang, c’est dire que Mam’Scarlett m’a sauté au visage.

                                                                   ********

Il était assez courant qu’à l’entracte mes parents fassent venir une attraction comme c’était déjà le cas à Lormont.

Une fois il y eut un numéro calqué sur le sketch de Pierre Dac et Francis blanche. Un artiste se plaçait sur la scène l’autre parmi le public.
L’artiste qui était dans la salle s’adressait à un spectateur au hasard et prenait ses papiers.
Celui qui était sur la scène essayait de deviner ce qui était écrit sur les papiers.
Ce sketch, peu connu à l’époque, avait un grand succès.
La salle vibrait et participait en faisait des « oh ! » et à la fin il y avait toujours un tonnerre d’applaudissement.
Il y avait un truc, c’est sûr…. !

Une autre fois, il y eut un musicien, un violoniste. Un monsieur d’un certain âge vêtu d’un costume sombre. Il demanda à mon père l’autorisation de répéter le matin même.
Papa en profita pour vaquer à ses occupations. L’une d’entre elles consistait à passer un insecticide contre les insectes de toutes pattes. C’était un appareil manuel qui, à chaque mouvement faisait un petit bruit aigu.
Alors que papa faisait consciencieusement son travail au rez-de-chaussée de la salle et projetait à intervalle régulier le produit toxique, il vit le monsieur arrêter plusieurs sa répétition en se penchant et tournant autour de la chaise.
Papa lui dit « vous avez un problème Monsieur ? ».
« Euh, dit-il, je ne comprends pas j’entends un bruit inhabituel j’espère que ce n’est pas mon violon qui me joue un tour ».
Comprenant la supercherie mon père le rassura :
« Ah non c’est moi qui passe le Fly-Tox » !
                               
                                 
Enfin je garde le meilleur pour la fin.

Un couple se présenta en vantant leur numéro « unique au monde » et surtout « in copiable ».
Mon père très curieux de nature s’était toujours passionné pour la magie.
Il n’avait pas les doigts fins et délicats mais ils étaient très agiles.
Souvent en famille avec mes cousins ou bien entre amis et plus tard avec mes enfants, il exerçait ses talents. Il avait beaucoup de succès.
Nous n’avions pas la télévision, je ne sais pas où il avait appris tous ces tours de passe-passe : la corde qu’il coupait, il faisait un nœud et hop elle réapparaissait entière, des objets qui disparaissaient dans une main et réapparaissaient dans l’autre …. Souvenirs de joies simples.

Le numéro de ce couple était le suivant : le couple se plaçait sur la scène. Le mari faisait asseoir sa femme sur une chaise et attachait solidement ses poignets à l’arrière de celle-ci.
Il demandait à un spectateur de monter sur scène et faisait constater minutieusement que la dame était bien attachée. Il devenait théâtral en insistant « Madame ne peut pas se détacher, vous êtes sûr ? ».
Alors il plaçait le spectateur à côté de sa femme et d’un coup tout aussi théâtral enfermait les deux personnes à l’intérieur d’une cabine entourée d’un tissu opaque.
Il tapait alors quelques coups avec un brigadier et hop il ouvrait le rideau. On trouvait alors le spectateur attaché à la place de la dame.
Ce numéro avait de l’allure et fit grande impression.

Mais voilà, mon père se creusait la tête.
Le premier soir il dit « je ne sais pas comment vous faites mais je trouverai ». « Impossible, dit le Monsieur sûr de lui, mon numéro est unique protégé par le secret ».
Le couple resta une semaine. Mon père s’entrainait avec de la ficelle car il avait bien compris que l’astuce venait de la façon de faire le nœud.
Et tous les soirs l’artiste, narquois, demandait à mon père « alors ? ». « Je trouverai ».
Cela tournait à l’obsession.
Et là dans la nuit avant le dernier jour, mon père se réveilla d’un bond et réveilla ma mère on lui disant tel Archimède « j’ai trouvé, lève-toi ! ».
En pleine nuit assise sur une chaise de la cuisine maman se laissa attachée et papa lui expliqua comment il fallait qu’elle se détache.

Un dernier numéro eut lieu et papa laissa le couple savourer leur tour le croyant in copiable.
A la fin de la séance lorsque tous les spectateurs furent partis, papa fit monter maman sur scène, l’attacha  et maman se détacha.
Le couple en resta médusé et dépité mais aussi légèrement admiratif devant tant d’opiniâtreté.

                                                                    **********

En cette fin d’été mes parents préparaient un grand évènement.
Nous allions retourner à Lormont pour la première fois depuis notre déménagement.

Une anxiété, mêlée à de la joie, me fit passer des nuits agitées.
Revoir mes copains d’enfance, la famille, les amis.
Est-ce que mes camarades se souviendraient de moi ?
Nous n’avions pas beaucoup de nouvelles. On écrivait pour les grandes occasions et on ne téléphonait que pour des évènements importants.

J’avais entendu également dans les conversations d’adultes « d’évènements d’Algérie ».
Ce retour aux sources fera l’objet de bien de surprises plus ou moins heureuses.

                                                                                                           A suivre…



                 






    
 








Propriétaire : C. Bros-Rouquette  Support Technique J-P Perrault

Audio Player de Colette
 1. Gérard Berliner -Louise-
00:00
 2. Madonna - Don't Cry For Me Argentina (Official Video)
00:00
 3. Il était une Fois dans l'Ouest
00:00
 4. Le Clan Des Siciliens
00:00
 5. L'homme qui en Savait Trop
00:00
 6. Le Grand Blond avec une Chaussure Noire
00:00
 7. Out Of Africa
00:00
 8. Lawrence d'Arabie
00:00
 9. Vangelis - Chariots Of Fire
00:00
00:00
00:00
Retourner au contenu