Le Retour - Site L'Atelier de Colette

L'Atelier de Colette
Aller au contenu
Les News

Le retour

C’est par une chaude journée du mois d’août 1956 que nous avons repris la route pour la première fois depuis notre déménagement de novembre 1954 vers ma ville natale.

Ma nuit avait été agitée. Et au réveil j’avais l’estomac au fond des talons comme à chaque fois qu’il fallait monter dans une voiture. Je trouvais bizarre que l’on nomme cet état « le mal de mer » alors que je n’étais jamais monté dans un bateau. Au moment du petit déjeuner le débat entre mes parents  était toujours le même : fallait-il avoir l’estomac vide ou plein ?

Mais contrairement à toute attente le voyage se passa bien. Je reconnaissais certains paysages et écoutais distraitement la conversation de mes parents.
J’étais surtout plongée dans mes pensées. Qui vais-je revoir parmi mes copains d’enfance, auront-ils changé et me reconnaîtront-ils ?
Et la famille, les amis… tant de questions auxquelles je ne pouvais pas répondre évidemment.
Je respirais l’air à travers la vitre ouverte de la Dyna Panhard et le bruit si particulier et pétaradant de son moteur a eu raison de ma fatigue.

Nous logions chez Monette et Albert les bouchers amis de mes parents depuis 1936 et mes seconds parents.
Les retrouvailles furent émouvantes car nous entrions directement dans la boucherie alors pleine de monde. Albert  drapé dans son tablier blanc éclatant tenant son grand couteau qu’il aiguisait constamment et Monette derrière la caisse portant son joli tablier blanc éclatant lui aussi, étaient tous deux fidèles à leur poste.
Des clientes nous reconnurent et nous posaient des questions. Alors, l’Ariège ?
Je demandais des nouvelles de Jean-Claude, « il court les filles » me répondit Monette avec son franc-parler habituel.
Nous entrâmes dans la cuisine-salle à manger et mes parents portèrent les valises dans les chambres.

Je traversais alors rapidement la rue pour dire bonjour à mon amie Dany et ses parents. Il n’y eut pas de grandes effusions mais une joie simple et émouvante de se revoir.
Durant ces quelques jours je partageais autant de temps que je pouvais avec elle, on riait, on bavardait pour nous raconter nos vies séparées.
Nous nous promenions sur les bords de la Garonne ou du côté des châteaux. Surtout nous avons essayé, souvent en vain, d’échapper à la compagnie de la petite sœur que nous  imposait la maman.

Avec mes parents nous rendions visite aux amis. Tout le monde voulait nous garder à déjeuner ou diner. C’était une farandole de petits plats que l’on mettait dans les grands.
Et le soir on se retrouvait chez Monette et Albert et comme chez tous les bouchers la table était bien garnie et excellente.
Je revis enfin Jean-Claude et faillit ne pas le reconnaître. Il avait grandi, était devenu un jeune homme et toujours aussi beau. Comme à son habitude il me tint serrée fort, trop fort. J’ai toujours eu l’impression qu’il voulait m’écraser.
Le lendemain il me dit « vient faire un tour sur ma vespa ».
Ouah ! La classe, je m’installais à califourchon à l’arrière de cet engin rutilant de blanc.
J’entendis à peine la voix forte de Monette « fais attention à la petite ! ».
Nous avons dévalé à toute allure la rue menant au quai puis remonté la côte du Pimpin, fait un tour du côté des châteaux et tous les endroits de notre enfance.
En revenant au point de départ j’étais étourdie mais tellement heureuse.

Ma maison natale n’avait pas changé. De nouveaux gérants avaient pris leur fonction à l’épicerie. Mes parents discutaient affaire.
Je reçus un choc en voyant que le nom de notre ancien cinéma avait été débaptisé. Il ne s’appelait plus « Familia » mais « Vox ». J’étais révoltée, c’est comme si les nouveaux propriétaires avaient voulu nous effacer. Je me suis sentie trahie.
Je demandais explication mais mes parents me répondirent « ils font ce qu’ils veulent maintenant, ils sont chez eux ».
J’en aurais pleuré.
J’appris également que mes parents avaient décidé de fermer la laverie attenante à l’épicerie. Beaucoup de ménages avaient maintenant des machines à laver chez eux.

Je ne revis pas non plus mon amie Lydie avec laquelle j’avais passé dix ans de ma vie. Nous avions quinze jours d’écart, sa maison touchait presque la mienne et nous étions dans la même classe. Elle vivait maintenant dans un autre quartier. Je la reverrai en 2004, soit presque cinquante ans plus tard lors d’un grand rassemblement d’anciens.

Je croisais quelques copains qui me demandait « alors ce nouveau cinéma ? ». Je racontais ma nouvelle vie, ma nouvelle ville, les montagnes magnifiques. J’étais pour un instant le centre d’intérêt et de curiosité.

A ce moment-là je compris que j’étais « d’ailleurs », qu’il n’y aurait pas de retour en arrière que ma vie se ferait sans eux et c’était infiniment triste.

Le monde bougeait et mon enfance s’arrêtait là dans cette si jolie ville au pied de la Garonne entourée de ses beaux châteaux.

J’assisterai au fur et à mesure de mes visites à sa métamorphose avec la construction du pont d’Aquitaine et celle foisonnante des bâtiments HLM, à la vente et à la destruction de certains châteaux, et enfin à la fermeture progressive de tous ses commerces de proximité.
Le «  bourg ancien » comme on l’appelle aujourd’hui perdait son âme.

                                                                 ***************
Nous avons toujours appelé « immeuble » ma maison natale.
En réalité c’est une maison à étages construite au XVIII° siècle, lors de l’essor industriel de la ville : construction navale, cimenterie, conserverie.
Elle est toujours restée dans la famille, comme point d’ancrage sans doute.
Elle nous a permis et nous permet encore ce lien si fort qui rattachait mes parents à leur première arrivée dans les lieux, alors jeunes mariés, en 1936.

Mes parents ne sont plus là depuis longtemps. J’ai pris le relais et me rends sur les lieux plusieurs fois par an. Je suis toujours émue et profondément heureuse de marcher dans leurs pas, les miens et de tous ceux qui ont fait partie de mon enfance.
Je revois les visages des commerçants et l’emplacement de leur boutique.
J’ai renoué des liens avec certains de mes copains perdus de vue et nous parlons de notre enfance heureuse.
Nous faisons revivre ces figures du passé pour ne surtout pas les oublier en nous félicitant d’avoir eu une enfance libre, respectueuse et heureuse grâce à des valeurs que l’on qualifie aujourd’hui de « désuètes ».

      Ma maison natale, à droite la grille de  l’ancienne école et mairie
(photo prise en 1956)             (photo archive AVL)


Le vieux village aujourd’hui – à l’arrière la cité nouvelle

Le pont d’Aquitaine côté Lormont
               Photo prise depuis la navette fluviale –septembre 2020

                                                            ***********

Sur le chemin de notre retour nous avons fait une halte à la ferme de Tonton Marc et Tantine Henriette.
J’avais l’estomac noué par l’émotion en descendant le petit chemin qui menait à la propriété.
Tous les souvenirs remontaient à la surface. Mes parents ne disaient rien.
Dans le hall d’entrée les vêtements étaient toujours accrochés aux patères et les sabots alignés comme par le passé.
Il manquait cependant une paire, celle de mon cousin Jeannot.
Les embrassades furent chaleureuses et nous nous réjouissions pour ne pas larmoyer.
Comme d’habitude Tantine Henriette pris la parole pour nous raconter les bouleversantes nouvelles de la famille.
Jeannot avait eu un petit garçon, beaucoup trop tôt, dit ma marraine. La maman n’avait que 17 ans, l’âge de ma cousine Christiane.
Quelques mois plus tard il avait du faire son service militaire et malgré son statut de « chargé de famille » on l’avait directement envoyé en Algérie pour 30 mois.
L’angoisse étreignait ma tante et la tristesse pesait de tout son poids parmi nous.
Les lettres qu’il envoyait ne racontaient pas grand-chose sur « les évènements » qui ne voulaient pas dire leur nom. Il ne voulait certainement pas inquiéter sa famille.

Christiane assurait de plus en plus son rôle dans les tâches ménagères, Francis travaillait toujours à la ferme et Serge venait de passer son certificat d’études.

A l’issue de cette journée forte en émotions, ma marraine me dit « veux-tu rester avec nous quelques jours ? » je n’attendais que ça comme elle l’avait si bien compris.
Mes parents acceptèrent comprenant que j’avais besoin de ce grand bol d’affection.
« je viendrai te rechercher dans une semaine » me dit mon père que les kilomètres n’effrayaient pas.

Je repris avec joie mon rôle de petite protégée au sein de la famille et retrouvais ma place à la table familiale dotée d’une nouvelle toile cirée.
Chacun avait repris son rôle à la ferme. Tonton Marc et Francis partaient très tôt dans les champs. Le tracteur avait remplacé le cheval et les bœufs. L’étable et l’écurie étaient bien tristes sans leurs occupants.
Tantine Henriette travaillait aussi dans les champs, il y avait tellement à faire.
Je partageais moins de choses avec Christiane. Elle était devenue une jeune fille alors que j’étais encore dans l’adolescence et lorsqu’elle rencontrait ses amies je ne faisais plus partie de leurs conversations.
Mon cousin Serge toujours solitaire passait son temps dans les livres ou dans son jardin particulier.
Je me sentais un peu isolée.
C’est autour de la table familiale que le partage avait lieu. Chacun racontait sa journée et Francis adorait me faire rire comme par le passé. Les fous rires reprenaient. J’observais le regard bienveillant de mon oncle et le sourire de ma tante toujours prête à dire « mais laisse-là tranquille cette petite ! ».
Quel bonheur !

J’avais des révisions à faire pour la rentrée scolaire,  surtout
En anglais.
Francis me dit « moi aussi je parle anglais » « Ah lui dis-je ? » sans bien savoir où il avait pu apprendre cette langue.
« esclop en boy ».
Je sais ce que veut dire « boy » dis-je fièrement mais esclop ??
Je me précipitais dans la chambre récupérer mon livre ne comprenant pas le sens de la phrase.
A mon retour toute la tablée était en larmes de rire.
Finalement il m’avoua que c’était du patois voulant dire « sabot en bois »….

                                                                ***********

                                                                 La cloche

Ceux qui ont suivi mes récits se souviennent peut-être de l’importance que la cloche avait dans notre vie de lycéennes.
On aurait dit que le concierge était rivé à cette chaîne qu’il tirait d’un mouvement régulier à chaque heure ou demi-heure de la journée.
On entrait en cours, la cloche. On sortait de cours, la cloche. On sortait pour la récréation, la cloche. La récréation se terminait, la cloche.
On n’y faisait presque plus attention tellement le son de cet instrument nous était familier.
Les internes subissaient le rythme du petit lever au coucher.
Nous nous moquions souvent de ce concierge qui ne prenait pas souvent la parole mais se tenait comme une sentinelle devant la grande porte cochère à notre arrivée et à notre départ, nous faisait quelques fois des réflexions sur notre comportement mais surtout actionnait conciensieusement cette fichue cloche.

Un matin nous arrivions, nous les externes, comme d’habitude un peu avant 8 h pour ne pas trouver porte close.
Or, après avoir pris le tournant vers la droite qui nous permettait d’arriver devant la porte d’entrée, nous trouvâmes un attroupement totalement inhabituel.
Des voitures de police, un attroupement, les deux grands battants de la porte cochère grand ouverts.
Mais que se passait-il ?

A l’intérieur, dans la cour d’honneur, l’agitation était à son comble. Toutes les élèves étaient là papotant à haute voix, les cours ne reprenaient pas.
Enfin on sut le drame, LA CLOCHE AVAIT DISPARUE !
On voulait en savoir plus mais les informations diffusaient difficilement.
Les pionnes qui dormaient dans les dortoirs avec les élèves avaient donné l’alerte.
La cloche n’avait pas sonné mettant ainsi une panique dans les sous-pentes.
Levez-vous, levez-vous avaient-elles crié !

Les cours ne pouvaient pas reprendre. La directrice et la surveillante générale étaient en conciliabule avec la police. Les professeurs tentaient de nous canaliser vers nos salles de cours respectives, en vain.

Car une question était sur toutes les lèvres : mais qui a volé la cloche ?

Petit à petit les cours reprirent et lorsque grâce à leur montre les professeurs nous donnèrent le feu vert pour la récréation nous nous précipitâmes vers les internes pour de plus amples informations.Mais beaucoup ne savaient rien et celles qui savaient tenaient leur langue.

Quel mystère !

L’après-midi, à la reprise des cours, des élèves manquaient dans les classes de 4° et 3°.
On apprit qu’un petit groupe d’internes avait été convoqué dans le bureau de la directrice.
L’enquête allait bon train !
Cela sentait fortement la punition suprème.
Deux élèves ont été exclues immédiatement du lycée et les autres traduits devant le conseil de discipline.
Oui mais qui ?
L’information passait mal, les internes faisaient bloc.

Nous apprîmes que ce groupe d’audacieuses s’étaient levé dans la nuit, les pieds nus entourés de chiffons pour étouffer le bruit de leurs pas sur le plancher vieillissant, faisant très attention à ne pas réveiller la pionne, avait détaché la cloche de la chaîne, était passé par une voie dérobée dont nous ignorions l’existence, et avait jeté le précieux trésor dans l’Ariège proche. Leur but était de jouer un bon tour « au con » comme on l’appelait entre nous.

Nous étions tout de même tristes pour nos camarades sanctionnées et nous faisions bloc totalement solidaires en admirant sous cape leur bravoure qui leur coûta cher.

La cloche ne fut pas remplacée. Une horrible sonnerie stridente pris sa place. Le concierge, toujours préposé, appuyait fortement sur le bouton le plus longtemps possible comme pour signifier sa colère d’avoir perdu sa cloche.
Ce n’est qu’une supposition car nous ne lui avons jamais demandé son avis sur la question.

Cependant, quelques temps plus tard, des policiers consciencieux avaient poursuivi l’enquête et avait retrouvé, à l’emplacement révélé par les fautives, la fameuse cloche.

Mais qu’est-elle devenue ?
Peut-être tronne-t-elle encore sur une étagère dans le bureau de la directrice actuelle comme un trophée entre une autorité rigoureuse et des élèves discipées.

Bien des années plus tard, au cours d’un repas que j’avais organisé avec quelques camarades de lycée, l’une des protagonistes était présente.
Parmi tous les souvenirs qui ont été évoqués autour de la table nous avons voulu enfin savoir le fin mot de l’histoire du vol de la cloche.

Nous avons eu droit à tous les détails de cette fameuse péripétie ainsi que le nom des protagonistes.
Nous avons beaucoup ri en souvenir de cet exploit réalisé par des jeunes filles à l’intérieur de ce lycée réputé pour la rigueur de sa discipline et la bonne tenue de ses élèves.

                                                                   ***********

le lycée

                                                                   A suivre …

                 






    
 








Propriétaire : C. Bros-Rouquette  Support Technique J-P Perrault

Audio Player de Colette
 1. Gérard Berliner -Louise-
00:00
 2. Madonna - Don't Cry For Me Argentina (Official Video)
00:00
 3. Il était une Fois dans l'Ouest
00:00
 4. Le Clan Des Siciliens
00:00
 5. L'homme qui en Savait Trop
00:00
 6. Le Grand Blond avec une Chaussure Noire
00:00
 7. Out Of Africa
00:00
 8. Lawrence d'Arabie
00:00
 9. Vangelis - Chariots Of Fire
00:00
00:00
00:00
Retourner au contenu