La Ferme - Site L'Atelier de Colette

L'Atelier de Colette
Aller au contenu
Les News

LA FERME,

Mon oncle Marc et Henriette se marièrent en 1932.
Ils ont été métayers dans une ferme située sur la commune de St Pierre de Bat, à 25 kilomètres de Sauternes dans l’Entre-deux Mers.

Lorsque je suis née ils avaient trois enfants : Jean, Christiane et Francis.
Ma tante devint ma marraine. Mes parents ne pouvaient pas faire meilleur choix. J’ai eu une marraine extraordinaire, énergique, « pète sec » comme on disait, mais avec un cœur énorme. Elle a toujours mis ses grandes ailes autour de moi pour me protéger.
Deux ans après ma naissance naquit Serge, leur quatrième enfant.
Une tribu cimentée par l’amour.
Nos parents formaient un quatuor solide dans lequel nous avons puisé nos forces.

Les visites chez Tonton Marc et Tantine Henriette étaient fréquentes.
Le dimanche on devait arriver avant 11h, heure locale, (les campagnes fonctionnaient à l’heure solaire), pour ne pas manquer la messe.
Ma tante était très pieuse, contrairement à mes parents qui cédaient à cette coutume par solidarité plutôt que par conviction religieuse.
Henriette connaissait tous les usages de la messe, les psaumes, les chants, les évangiles, les prières. Elle savait quelle page il fallait ouvrir dans le missel, quand il fallait se lever, s’agenouiller. Elle accomplissait parfaitement ce rite dominical. J’étais en admiration et je découvrais une toute autre personne.
Le calme qui l’habitait contrastait fortement avec l’énergie qu’elle employait dans toutes ses tâches quotidiennes.

Après avoir parcouru les 50 kilomètres dans notre « Amilcar » nous arrivions à la ferme, tout endimanchés. Mon père avait mis son beau costume, ma mère sa plus belle tenue et son beau chapeau et moi ma plus belle robe.
Il y avait effervescence dans la grande cuisine. La famille finissait les préparatifs dirigés de main de maître par Tantine Henriette.
Tout le monde avait fait grande toilette. Levés très tôt comme tous les jours, les hommes avaient « soigné » les bêtes, nettoyé l’écurie et l’étable. Christiane finissait de repasser les chemises blanches.
Nous étions prêts pour la messe.

Alors nous montions à pied le petit chemin qui nous séparait de quelques centaines de mètres de l’église.
Sur le parvis il y avait tout le village. Marc et Henriette donnaient du bonjour ou embrassaient certaines personnes, mes cousins parlaient avec leurs copains, maman retrouvait des amis d’enfance.
A l’intérieur de l’église les hommes prenaient place à droite après avoir ôté leur chapeau ou béret et les femmes et les enfants à gauche.
Ma cousine Christiane faisait partie du chœur de chant autour de l’harmonium.
Le curé montait ensuite à la chaire pour dire le prêche. L’assemblée était concentrée.

A la sortie, il y avait beaucoup de conciliabules. On prenait des nouvelles des uns et des autres, le téléphone n’existait pas dans les campagnes reculées.
Plus tard, Francis devint enfant de chœur. Il était chargé aussi de sonner les cloches.
Je le revois sous le porche tirant de toutes ses forces sur la corde. Il montait, descendait en la tenant fortement et lorsqu’il descendait, l’air s’engouffrait sous sa robe rouge et dentelle blanche, on aurait dit un bibendum. Il riait et je riais de plus belle.
Je le soupçonnais d’avoir encore trouvé un jeu. Il était tellement facétieux !

                  
                           L’église de St Pierre de Bat et son petit cimetière

Rire c’était le mot d’ordre. Jeannot et Francis passaient leur temps à me faire des farces pour me faire rire. Ça marchait à tous les coups.  
J’étais bon public, ils en profitaient et j’en redemandais.
Ma marraine veillait au grain. Quelques fois elle élevait la voix : « laissez-la cette petite ».
Un jour, ma mère me fit franchir le petit portail en fer donnant sur le cimetière qui entourait l’église. Devant une modeste tombe elle me dit « c’est là qu’est enterrée ma mère, ta grand-mère ».
Sur une petite pierre était inscrit Julienne Baudard, épouse Bertin. Je ne posais aucune question ne sachant pas quoi dire et ma mère ne dit rien non plus. Un grand moment de solitude.
 
Nous redescendions vers la maison pour le repas dominical.
Nous mettions le couvert, des assiettes à calotte dans lesquelles on disposait des tranches de pain avant d’y verser la soupe.
La grande marmite était en permanence sur le feu et chaque jour on rajoutait des légumes. C’était le plat principal, viande et volaille faisaient exception.
Mais justement le dimanche Tantine Henriette tuait une volaille.
Si c’était un poulet elle lui tranchait la gorge d’un coup sec à l’aide d’un couteau bien aiguisé et récoltait le sang dans une coupelle. Si c’était un lapin, un coup sec derrière la nuque et après elle demandait de l’aide pour le dépeçage. Il m’est arrivé de l’aider dans cette besogne « tiens bon, disait-elle, en voyant ma mine confite ».
 
Après avoir ôté nos habits du dimanche, nous nous mettions à table, chacun à sa place. Longtemps mon petit cousin Serge a trôné en bout de table sur sa chaise haute.
Les adultes avaient des conversations dans lesquelles nous n’étions pas conviés. Cela n’empêchait pas mes cousins de me faire rire et souvent provoquaient des rires fous.
Nos parents riaient de ce spectacle et après le dessert nous donnaient l’autorisation de sortir de table.
Nous avions quartier libre et toute la campagne pour nous. Je me rapprochais de ma cousine et de mon petit cousin. Les grands partaient au bourg retrouver leurs copains.
Christiane était une fille raisonnable. Seule parmi ses frères elle aidait beaucoup aux travaux ménagers, cela ne nous empêchait pas de jouer à la poupée ou de nous promener dans les bois ou de chanter. Elle se procurait les paroles de chansons et nous les apprenions par cœur.
On rendait visite à Annie qui vivait dans le moulin de l’autre côté du ruisseau. Christiane et Annie avaient le même âge j’étais en décalage mais j’aimais bien écouter les conversations« des grandes » j’y apprenais beaucoup de choses.
Quant à Serge, c’était un solitaire. Il avait son propre jardin potager et j’étais surprise de cette passion qu’il menait très sérieusement. Dès qu’il sut lire, il dévorait tout sur son passage : livre, journal, revue, il était insatiable.
Mais il ne parlait pas ou peu, le taiseux le plus irréductible de la famille. Il participait à tout, il riait des farces de ses frères … mais en silence.
 
Peu à peu je découvrais ce monde si différent du mien : ses coutumes et son langage lié au travail de la terre dont je ne comprenais pas toujours le sens. J’apprenais à différencier les feuilles de persil de celles des carottes à connaitre le nom de tous les légumes, la différence entre une vache et un bœuf, à reconnaître les animaux de la basse-cour, le nom des arbres, des oiseaux et tellement d’autres choses…
Une leçon de choses sur le terrain.

Les dimanches d’hiver on se tenait près de la cheminée. Les parents racontaient des histoires, liées à leurs activités communes ou bien sur des évènements politiques du moment. Souvent ils parlaient patois, mes cousins aussi.
Je n’ai jamais fait l’effort d’apprendre ce dialecte d’autant que mes parents se chamaillaient à ce sujet. Mon père, aveyronnais, prétendait que le sien était pur ….
Mes cousins profitaient abondamment de mes lacunes pour me trouver des pièges linguistiques dans lesquels je tombais lamentablement.
Il y avait les parties de belotes incontournables. On tricotait ou on brodait. Mais aussi on faisait tous ensemble des parties de nain jaune. Mon père a toujours été passionné de magie. Alors mes cousins réclamaient « ses fameux tours de passe-passe ». Il faisait disparaitre des pièces de monnaie, couper une corde en deux pour la restituer entière. L’assemblée était en admiration et mes cousins disaient sous les applaudissements « encore tonton ».
Il était très adroit de ses mains et adorait faire des ombres chinoises sur le mur de chaux. Il faisait apparaître des têtes de lapin, d’oiseaux.

Quelques fois nous restions dormir.
Marraine passait le moine dans tous les lits, les plus frileux se déshabillaient devant le feu ardent de la cheminée pour enfiler les vêtements de nuit. Nous, les enfants, nous dormions tous dans la même pièce. Un poêle se trouvait au milieu que je n’ai jamais vu fonctionner, autour chacun avait son lit. Je dormais avec ma cousine dans un lit à rouleau un peu plus grand.
On remontait les draps et l’édredon de plumes et la couture médiane du drap servait de frontière.
Mais on ne s’endormait pas tout de suite. Les chenapans trouvaient toujours des histoires à raconter ou alors faisaient des concours de pets. On riait mais bientôt depuis la chambre d’à côté, on entendait la voix forte de tonton Marc « vous allez dormir nom de Dieu, j’en connais qui ne pourront pas se lever demain matin et ils auront de mes nouvelles ». Il parlait bien sûr de Jeannot et Francis qui se levaient très tôt pour aider leur père.
 
Septembre était une étape importante.
C’était le temps des vendanges, de l’ouverture de la chasse et de la rentrée des classes.
Les pièces de vignes, comme d’autres terres cultivées, n’étaient pas toutes attenantes à la ferme.
Chaque terre portait un nom. Lorsque nous arrivions en semaine on nous disait « ils sont à (nom de la parcelle) et on s’y rendait. Mes parents avaient la carte géographique dans la tête.
Les bœufs et le cheval (blanc), dont j’avais une peur bleue, effectuaient le travail tractant charrue ou charrette.
La vigne avait demandé un travail très dur et continu toute l’année. Aussi l’excitation était forte à l’approche des vendanges.
 
Il faut avoir connu cette époque lointaine où travail et solidarité dans les fermes modestes avaient un sens.
Le jour J chacun avait un rôle.
Des voisins venaient prêter main forte soit pour vendanger selon leur temps libre, soit pour aider à la cuisine.
Des ouvriers saisonniers étaient également engagés.
Tôt le matin, le rassemblement avait lieu sous le préau. Mon oncle distribuait le travail. Il vérifiait que chacun ait bien un sécateur et un panier. Les porteurs de comportes étaient désignés.
Et en route. Je montais dans la charrette et Serge dans la voiture de mes parents.
Lorsque nous en avons eu l’âge on nous donna aussi un sécateur et un panier. Tantine Henriette nous dit alors « et tenez votre rang ». Cela voulait dire que tout rang commencé devait être fini. Ce que nous avons fait courageusement mais avec beaucoup de difficultés.
 
Les vendangeurs travaillaient dans la bonne humeur. Quelques fois des chants populaires prenaient leur envol. Des boissons étaient distribuées. On entendait le cri « comporte ». Le vendangeur versait son panier et le porteur vidait son lourd chargement dans la charrette.
 
L’heure du repas était fixée lorsque les rangs étaient finis. Pas question d’arrêter le travail au milieu d’un rang comme cela se pratique trop souvent aujourd’hui.
Alors tout le monde se regroupait, soit dans les charrettes, soit à pied. Serge remontait dans la voiture et moi heureuse de monter dans le tombereau parmi les comportes lourdes de raisins dont les effluves nous parfumaient avec bonheur.
Je n’aurais donné ma place pour rien au monde.
 
Une grande table était dressée sous le préau pour les vendangeurs et nous, nous nous retrouvions autour de la table familiale.
Tout le monde s’était lavé les mains dans des bassines. La fatigue se lisait sur les visages. Pendant le repas les discussions allaient bon train. Je me souviens d’un brouhaha joyeux, beaucoup de plaisanteries.
Au signal de mon oncle le travail reprenait. Ce n’était pas la montre qui commandait mais les raisins qu’il fallait ramasser aujourd’hui et pas demain.
Lorsque l’après-midi se terminait, que le raisin était dans les cuves, les chasseurs, c’est-à-dire mon oncle, mon père, Jeannot et Francis qui étaient en âge de tenir un fusil, partaient dans les champs ou les bois chasser les perdrix, les cailles, et autres gibiers sauvages. Les chiens suivaient en frétillant de la queue.
 
Je parle d’un temps révolu. D’un temps où les chasseurs étaient en osmose avec la nature, où les champs n’étaient pas brûlés après la moisson, où on ne lâchait pas le gibier pour le tirer comme dans un stand de fête foraine et où les chasseurs eux-mêmes étaient peu nombreux.

                              
                                                            Les vendanges d’antan

La rentrée des classes avait sonné.
Jeannot de dix ans mon ainé, après avoir passé son certificat d’études, sera employé dans la ferme de ses parents.
Christiane de cinq mon ainée aidera aussi à la ferme et fera des travaux en fonction de son âge.
Francis de deux ans mon ainé travaillera aussi à la ferme après son certif.
Serge pris le même chemin.
Quant à moi je rentrais en classe toujours dans mon école communale de Lormont.
Le temps passait…
 
Mais mon plus grand bonheur et mes plus beaux souvenirs d’enfance se situent pendant les grandes vacances.
Ma marraine me disait « tu veux rester un peu pour les vacances ». La réponse était sans surprise. Je rayonnais de joie et la famille souriait de cette situation si prévisible.


La ferme se trouvait dans le hameau de Beillerand en contrebas du bourg.
L’habitation était modeste, sans le moindre confort comme c’était le cas pour beaucoup de monde à cette époque.
Dans l’entrée une rangée de patères pour les divers vêtements et un emplacement pour les sabots placés dans l’ordre de grandeur.
Une grande pièce à vivre. Sur la gauche un placard qui contenait l’évier en pierre dont l’écoulement se faisait directement dehors. Plus tard de l’autre côté de la fenêtre sera placé un évier en grès blanc avec l’eau courante.
Une grande cheminée, une très grande table, buffet et bahut complétaient le mobilier. J’aimais beaucoup la comtoise, son joli son et son balancier dont la régularité me fascinait. Tonton Marc prenait la clé qui se trouvait sur le côté pour remonter le balancier. Je trouvais cela magique.
Une porte donnait dans la grande chambre des enfants puis dans celle des parents.
A côté de la cheminée on accédait à l’étable et à la grange où étaient entassées les balles de foin.
C’est là que se tenait tous les repas de grandes fêtes : baptême, communions … des tréteaux, des planches, de grands draps en guise de nappes, la simplicité, la joie de se retrouver, d’apprécier les plats cuisinés pour l’occasion, de rire, de chanter.
 
Pour la communion de Francis nous étions arrivés en retard. Très surpris de trouver l’église vide, nous avons pris le chemin de la ferme. Mais au niveau du petit pont une énorme procession nous bloquait la route. En tête le curé et les enfants de chœur, suivis des communiants et de toute la parenté. Mes parents, très inquiets descendirent de voiture et demandèrent explication. On leur dit « Francis est malade, il n’a pas pu assister à la messe aussi le curé vient à lui ».
Soulagés nous avons suivi tranquillement la procession jusque dans la cour de la ferme.
Le curé, les enfants de chœur et les communiants entrèrent dans la chambre bien exiguë pour tant de monde. Francis était assis dans son petit lit, cloué par une fièvre. Il portait la veste de son costume avec le beau brassard sur le bras gauche.
Toute la journée nous nous sommes relayés pour lui tenir compagnie et lui raconter ce qui se passait dans la grange où la fête battait son plein.
Sacré Francis !
 
Le propriétaire de la ferme se nommait Basile. Nous ne manquions pas de chanter « où vas-tu Basile sur ton grand cheval perché… ». Il ne se fâchait pas.
Il habitait avec sa sœur dans une belle maison bourgeoise dans le bourg.
Je le revois lorsqu’il venait à la ferme dans sa belle « traction avant noire ». Il en descendait avec prestance et après avoir enlevé son chapeau faisait la bise à tout le monde, sauf à mon oncle qu’il marquait d’une franche poignée de main.
« Monsieur Basile » avait beaucoup d’allure mais il était surtout très gentil. Tout au long de leur collaboration il fut très attentif au bien être de mon oncle, de ma tante et de leurs enfants.
 
Un jour on vit dans la cour une série de mobylettes. Il y en avait pour tous les membres de la famille. Elles étaient belles, bleues et représentaient un progrès considérable.
Mon oncle et ma tante n’ayant jamais eu de voiture pratiquaient le vélo en toutes circonstances.
Devant l’attroupement ébahi du superbe cadeau de Monsieur Basile, Francis me dit « viens on va jusqu’au village ». Je n’étais jamais montée sur un engin pareil mais l’aventure me tentait d’autant qu’il n’y eu aucune objection.
Après une courte explication j’empruntais la mobylette de ma cousine et nous voilà partis tous cheveux au vent « enfin surtout pour moi ».
En grimpant la côte je mis tous les gaz, Francis me distançait.
Alors que je me grisais, je ne vis pas le petit caniveau qui délimitait le chemin de la route. Et hop, dans le mur de la maison d’en face. Malheureusement ou heureusement, la pierre d’évacuation de l’eau de l’évier qui dépassait à l’extérieur de cette maison m’arrêta net.
Nous redescendîmes tous penauds vers la maison sachant parfaitement ce qui nous attendait. Mon père tout d’abord « quand on ne sait pas se servir d’une mobylette on ne monte pas dessus, surtout si ce n’est pas la sienne. Fais des excuses à ta cousine ». Ma mère s’inquiéta de ma santé qui était très bonne malgré un genou râpé. Ma marraine gronda fortement Francis pour avoir entraîné « cette petite » dans cette galère.
Mon oncle dit enfin « ce n’est pas grave je la réparerai ».
 
                                                                 *******
Quelques années auparavant, ma marraine voulut faire le pèlerinage de Verdelais.
Mon oncle prit Serge sur son porte-bagage et ma tante me prit sur le sien.
Après avoir parcouru les douze kilomètres, sans doute, avec une certaine difficulté, à travers les vignobles de l’Entre-deux-Mers, nous assistions à la messe dans la Basilique, puis le pèlerinage se faisait à travers la forêt de Cussol avec une halte à chacune des quatorze chapelles.
C’était interminable. Mais la récompense était au bout du chemin de croix où depuis l’imposant calvaire la vue était splendide sur les coteaux de la Garonne, les vignobles de Sauternes, le château Yquem.
En tournant la tête vers la gauche on pouvait apercevoir les toits de Malagar, demeure familiale de François Mauriac.
Enfin, on faisait un petit tour dans le cimetière de Verdelais où se trouve la tombe de Toulouse-Lautrec, décédé dans le château tout proche de Malromé.


                                                                      Le chemin de croix
 
                                             *********
Par un après-midi particulièrement chaud, Christiane et moi étions assises sur l’herbe à l’ombre des noisetiers.
Nous vîmes arrivé un monsieur à vélo. Il le rangea contre le mur du chai et entra. Tonton Marc était à l’intérieur.
Quelques minutes plus tard, le monsieur sorti tenant une bouteille de vin qu’il mit dans la sacoche de son vélo.
Et il partit sans nous adresser la parole.
C’est alors que ma cousine me dit « tu vois ce monsieur c’est notre oncle Louis ».
Quelque peu interloquée par cette nouvelle, je lui demandais « où habite-t-il ? » « Quelque part dans une cabane dans les vignes ».
Je n’ai plus jamais revu ce frère de ma mère.
 
Parmi ses cinq frères et sœurs nous ne fréquentions que Marc et Gabrielle, ainée de Marc.
Autant ma mère était fine, élégante, charmante, autant sa sœur avait un physique ingrat. Une trop grande bouche, une peau trop sombre, des cheveux crépus. A ses traits grossiers s’ajoutait une sorte de tristesse permanente dans son attitude.
Bref je n’ai jamais eu d’attirance pour elle ni pour son mari Henri.
Nous nous rencontrions quelques fois à la ferme et ils étaient de toutes les fêtes de famille mais jamais ils ne venaient chez nous à Lormont.
Ma mère tolérait son beau-frère Henri. Lorsqu’elle était jeune le couple jouait les chaperons pour que maman puisse aller au bal.
Elle se préparait, joyeuse, elle adorait danser, et au dernier moment le tonton déclinait l’offre.
Il fit le coup plusieurs fois. Et puis il y eut quelques petits gestes déplacés.
Francis avait un don d’imitation. Il aurait fait carrière dans le spectacle. Tout le monde y passait, la famille, les gens du bourg, les personnages publics. Il avait le don de croquer les petits travers de chacun.
Lorsqu’il imitait tantine Gabrielle et tonton Henri nous étions morts de rire.
Le couple habitait une petite échoppe au Bouscat, banlieue de Bordeaux. Ils n’avaient pas d’enfant.
Lorsqu’on leur rendait visite, assez rarement je dois dire, je faisais une tête de dix pieds.
Il fallait rester assis sans rien dire sur une chaise de la salle à manger Henri II bien cirée mais qui ne servait jamais.
Une partie de l’après-midi se passait ainsi. Je n’avais qu’une hâte que le supplice se termine.
Un jour, tante Gabrielle me dit « tu vois cette pendule, elle appartenait à ta grand-mère, elle sera pour toi ».
Stupéfaite est un mot faible car jamais de sa vie elle n’a montré envers moi la moindre attention ou le moindre petit cadeau.
Il s’agissait d’une comtoise droite, très belle, en noyer certainement.
Je ne fis aucun commentaire et bien des années plus tard je la vis chez Jeannot.
 
                                                                 *******
 
Le monde bougeait petit à petit.
L’eau courante, froide, arriva dans la cuisine sur un évier en grès.
Mon oncle, aidé de ses fils, construisit une cabane dans la cour, face à la maison qui devait servir de rangement mais aussi de « salle de bains » grâce à un ingénieux système. Une lessiveuse pendait au plafond. Elle était percée de trous et munie d’une tirette qui permettait l’évacuation de l’eau dans une grande bassine que l’on vidait ensuite dans le massif de fleurs. Rien ne se perdait.
 
On la remplissait d’eau chaude que l’on prenait dans le grand chaudron en fonte tout à côté et sous lequel un feu de bois crépitait. Un rideau permettait une intimité sommaire.
Ah oui, les jeunes ont du mal à croire que cette période a existé.
Mais par contre il y avait toujours la cabane d’aisance dans un coin du terrain, sous un arbre de préférence. Elle changeait de place de temps en temps. On découpait des morceaux de papier journal que l’on pendait à une esse. Certains en profitaient pour faire de la lecture malgré les mouches et l’odeur.
 
Puis un jour Basile acheta un tracteur.
Une vraie révolution. Je le revois, triomphant dans la cour, pimpant dans sa robe rouge. Un Mc cormick flambant neuf.
Le progrès certainement, gain de temps et de fatigue.
L’écurie et l’étable resteront tristement vides.


Un soir, Francis et moi étions assis sur un tertre. On regardait le ciel étoilé. Dans ce domaine aussi mes cousins complétaient mes connaissances.
Tout à coup je vis pour la première fois une étoile filante. Je fus émerveillée.
Il me dit « il faut faire un vœu et il se réalisera ».
J’apprendrai plus tard que rien ne se réalise vraiment, que chaque jour est un changement. On y gagne et on y perd.
 
                                                                              A suivre …



                                                               
                                
 
 



Propriétaire : C. Bros-Rouquette  Support Technique J-P Perrault

Audio Player de Colette
 1. Gérard Berliner -Louise-
00:00
 2. Madonna - Don't Cry For Me Argentina (Official Video)
00:00
 3. Il était une Fois dans l'Ouest
00:00
 4. Le Clan Des Siciliens
00:00
 5. L'homme qui en Savait Trop
00:00
 6. Le Grand Blond avec une Chaussure Noire
00:00
 7. Out Of Africa
00:00
 8. Lawrence d'Arabie
00:00
 9. Vangelis - Chariots Of Fire
00:00
00:00
00:00
Retourner au contenu