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LA DECHIRURE
 
Les enfants ont un sixième sens, ils sont réceptifs aux changements, aux moindres bruissements d’ailes qui les entourent.
 
En cette année 1954 c’est ce que je ressentais. Les choses bougeaient autour de moi et j’avais l’impression que certains évènements m’échappaient.
 
Mon amie Lydie m’annonça qu’elle partait habiter dans le nouveau quartier de Carriet, sur les coteaux qui se déversent vers la Garonne. Ses parents avaient acheté une maison neuve « avec tout le confort ».
 
Nous étions tristes de nous quitter d’autant qu’à la rentrée de septembre elle irait à Bordeaux dans un collège et moi je redoublais le CM2.
 
Elle m’emmena visiter sa nouvelle maison. Notre petit bourg entamait ses transformations dont on n’imaginait pas alors le bouleversement profond qui s’en suivrait.
 
Dans l’été, mes parents étaient partis une semaine dans l’Ariège pour une reconnaissance des lieux en vue d’une nouvelle vie.
Je résidais naturellement chez Monette et Albert. J’étais triste. Je ne comprenais pas le projet de mes parents.
On était si bien à Lormont.
 
Mais c’est où l’Ariège ?
 
Jean-Claude, mon frère adoptif, dont la chambre était contiguë à la mienne faisait tout son possible pour me rendre le sourire. Il se déguisait et arrivait soudainement au pied de mon lit en faisant des pitreries.
Mais ce n’était qu’un répit.
 
A leur retour mes parents dirent qu’ils étaient enchantés. Ils ne virent pas la tristesse dans mes yeux où ils firent semblant de ne pas la voir.
Maman m’avait rapporté des petits objets sur lesquels des décalcomanies représentaient le château de Foix.
Un porte-plume avec une minuscule loupe à travers laquelle on voyait le château, une toute petite barrique dans laquelle était enroulée un mètre de couturière et un petit dé à coudre.
 
Et ils chantaient ou plutôt récitaient à qui voulait l’entendre « il était une fois un marchand de foie qui vendait du foie dans la ville de Foix, il se dit ma foi c’est bien la première et dernière fois que je vends du foie dans la ville de Foix ».
 
Oui mais je ne comprenais toujours pas. Des châteaux à Lormont il y en avait beaucoup et certains absolument magnifiques avec leur parc plus beaux et plus grands les uns que les autres. On pouvait entrer dans certains et d’autres plus secrets nous faisaient rêver.
 
Il y avait aussi le fleuve, cette Garonne si belle malgré sa couleur boueuse et ses débordements. Les bateaux grands et petits qui entraient dans le port nous invitaient au voyage.
 
Et Bordeaux, ma ville, si belle …
 
Et l’océan proche où nous avions notre petite maison de vacances…
 
La rentrée scolaire de septembre fut triste. J’avais perdu mes copines qui n’avaient pas redoublé et étaient parties dans les collèges bordelais.
 
De nouvelles classes avaient été ouvertes dans le château de l’Escale. Dorénavant je ne traversais plus la rue pour me rendre à l’école mais faisais quelques centaines de mètres pour m’y rendre. Je descendais une partie de la rue du port, aujourd’hui rue du Général de Gaulle, tournais à gauche dans la petite rue de la Camarde, montais les marches en pierre pour atteindre le plateau où trônait le château de l’Escale.
On dominait le fleuve et la ville de Bordeaux située sur la rive gauche.
 
Les soirs de catéchisme on prenait le raccourci à travers le cimetière proche. Lorsque la nuit tombait on ne perdait pas de temps car les garçons nous avaient dit qu’il fallait faire attention aux feux follets.
Je n’en menais pas large car je venais de lire « la mare au diable » de Georges Sand.
L’hiver arriva. Je ne voyais guère mes parents toujours très pris par leur travail : la tournée de cinéma le soir, la blanchisserie la journée et les fins de semaine le cinéma « le Familia » notre salle fixe.
 
Ma vie d’enfant continuait malgré tout entre la vie scolaire et les jeux avec les copains de mon quartier. Dany, Rolande, Françoise, Dédé, Didine, Henri et bien d’autres.
A cette époque nous étions bien loin des soucis de nos parents. On se contentait d’écouter et de percevoir les problèmes des grands pour bien vite retourner dans notre monde.
 
Cependant mes parents repartirent une deuxième fois dans l’Ariège, à Pamiers exactement.
 
Dans la nuit qui précéda leur départ le feu prit dans le grenier du « bar de la Mairie » notre voisin.
Au petit matin les pompiers intervinrent et tout le quartier se rassembla sur la place Auberny pour admirer le spectacle des hommes placés sur le toit afin de maîtriser ce qui n’était en réalité pas très grave.
 
Mes parents partirent mais j’avais un mauvais pressentiment.
Pourquoi tant de contrariétés en si peu de temps ?

A leur retour j’appris que nous allions partir habiter Pamiers, cette ville de l’Ariège si lointaine et que mes parents dirigeraient le cinéma Rex.
A partir de ce moment j’ai un trou noir, une absence. Aucun souvenir des préparatifs de départ sinon que mon père partit en éclaireur une semaine avant nous.
L’immeuble où nous habitions fut vendu à un couple qui avait une fille de mon âge. Je l’ai haïe immédiatement pour avoir pris ma place.
 
En attendant le départ nous nous réfugiâmes à côté, dans l’immeuble de « l’Aquitaine » qui ne fut pas vendu.
Ma mère revenait en arrière en occupant à nouveau la vieille cuisine qu’elle avait connue en 1936.
J’appris également la vente de la villa de Lacanau et surtout de ma chère Amilcar.
 
Mon père avait dit qu’elle n’était « plus sûre » et la changea contre une Dyna Panhard que je détestais aussitôt.
Mon monde s’écroulait.
Il n’y eut pas comme d’habitude des explications détaillées sur ce changement de vie où bien j’ai tout oublié.
 
Y eut-il des au revoir auprès de la famille et des amis ? Je n’en ai aucun souvenir.
Assez récemment, mon copain Henri me dit qu’il se souvenait parfaitement que devant un petit groupe je leur dis « je pars habiter à Pamiers dans l’Ariège »…
 
C’était le onze novembre 1954. Le camion de Monsieur Faup était rempli de nos meubles et objets.
 
Je ne participerai pas au défilé annuel de commémoration avec un petit bouquet dans les mains comme c’était la coutume.
 
Il pleuvait, cette pluie fine et continue qui était habituelle dans ces jours d’automne.
 
Nous prîmes la route.
 
Comment expliquer cette déchirure qui vous prend tout entier dans une situation que l’on n’a pas souhaitée.
 
Nulle parole entre ma mère et moi, nul mot d’encouragement ou de réconfort.
Ma mère était une personne forte qui ne s’apitoyait pas sur son sort, elle en avait vu d’autres.
Mais moi je n’en avais pas vu d’autres. Ma vie avait été si belle et si douce.
 
Le voyage fut très difficile et long.
 
Le camion n’avait que deux places à l’avant et entre les deux un capot arrondi et très chaud sur lequel je m’asseyais de temps en temps pour soulager les genoux de ma mère.
 
Nous partions vers un autre avenir, mes parents certainement très confiants mais moi enfermée dans une tristesse qui, bien qu’atténuée par les années, ne me quitta plus car je venais de perdre mon enfance.
 
Ma mère dira plus tard « on m’a déracinée ». Je suppose que le « on » voulait désigner mon père.
Ce qu’ils ne savaient pas c’est que l’Eldorado était semé d’embûches et de déceptions.
Mais qui peut prédire l’avenir ?
                                                    *****
Serge Lama et moi avons deux points communs.
Nous sommes nés la même année dans la même ville et nous l’avons quittée à la fin de notre enfance.
Il a écrit les paroles de cette magnifique chanson, peu connue « Bordeaux ».
Certains passages me crèvent le cœur.
 
BORDEAUX paroles de Serge Lama et Pascal Obispo
 
Au bord de la Garonne belle
J’ai fait mes premiers pas d’oiseau
Plus tard il m’a poussé des ailes
Mais mon enfance c’est Bordeaux
Je t’ai quittée mon Aquitaine
Pour finir mon enfance ailleurs
Loin des regards de tes persiennes
Et mes crayons de couleur
 
Papa m’emmenait à bicyclette
A l’école du cours St Louis
Le bruit des roues me faisait fête
Quand je me serrais contre lui
J’aimais ce papa d’opérette
Ce papa musique et velours
Ma mère était trop inquiète
Etait-ce d’angoisse ou d’amour
Garonne
Garçonne
Dans tes veines coule l’alcool de ta source espagnole
 
Bordeaux t’as changé ma rebelle
T’es belle avec tes nouveaux quais
Le soleil fait des aquarelles
Sur les vitres de tes troquets
Picorer de feu ma femelle
Dans les cafés où je …
Bordeaux c’est un dessin d’enfance
Un essaim d’innocence
C’est l’océan immense
Qui me tend tous ses bras
C’est ma vie qui commence
Avec ses espérances
C’est la main de ma mère
Qui me serre et espère
Que ça continuera
Bordeaux, c’est ça
Pour moi
Bordeaux c’est ça
Pour moi
Longtemps je te fus infidèle
Je t’ai trahie mais ça fait rien
Quand naissent les « je-me-rappelle »
On revient toujours d’où l’on vient
Ma belle ne paies pas confiance
Au bout du bout du dernier train
Je finirai mon existence
A Bordeaux, le cœur près des miens
Au bord de la Garonne belle …
 
                               
 
 



Chanson Bordeaux de Serge Lama
Propriétaire : C. Bros-Rouquette  Support Technique J-P Perrault

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