L'Ariège - Site L'Atelier de Colette

L'Atelier de Colette
Aller au contenu
Les News

L’Ariège                                                                            


Je n’ai aucun souvenir de ces kilomètres parcourus sur la nationale 113, de ces villes et villages. Je me souviens seulement de cet inconfort que je partageais avec ma mère dans ce camion de déménagement qui nous emmenait à Pamiers dans l’Ariège en ce 11 novembre 1954.
Sans le vouloir certainement, mes parents venaient de briser la bulle de mon enfance heureuse.

Nous arrivâmes  enfin à destination. Nous allions retrouver mon père qui logeait depuis quelques jours à l’hôtel de France et devait nous conduire à notre logement.
Mais aussitôt après les retrouvailles il y eut une importante discussion entre mes parents et le déménageur.
J’appris que le logement que nous devions occuper n’était pas prêt comme prévu. Nous étions momentanément à la rue. Ma mère a dû en concevoir une immense déception en se remémorant l’appartement confortable que nous avions laissé à Lormont sans parler du déchirement affectif que nous subissions.

Mon père, éternel optimiste, trouva rapidement une solution.
Il fut convenu que nous logerions provisoirement à l’hôtel. Le déménageur consentit à laisser son camion dans la cour de l’établissement le temps qu’il faudrait et prendrait le train le lendemain. Heureux temps où l’insécurité n’était pas de mise !

Ce problème résolu, mon père se rendit au cinéma REX pour y prendre ses fonctions.

Maman et moi l’avons rejoint en début d’après-midi.
Lorsque nous arrivâmes la rue était noire de monde. Les spectateurs attendaient patiemment l’ouverture des portes qui pour l’instant étaient fermées.

                                                                                       
A l’intérieur, dans le hall, se tenait une réunion de la plus haute importance entre les associés, mon père et le directeur en place.
Celui-ci n’avait pas été prévenu de son remplacement. Le choc fut rude. Le responsable de ce fort désagrément était l’un des associés qui était aussi exploitant du cinéma de Foix et par ailleurs possédait une maison de distribution de films dont les bureaux étaient à la fois à Toulouse et à Bordeaux.
C’est dans les bureaux bordelais que fut conclu l’accord entre lui et mon père.
Papa d’ordinaire méfiant et intuitif n’avait pas prévu le coup bas qui était l’objet du conflit.



Finalement une solution à l’amiable fut trouvée. L’ancien directeur rentra chez lui dans la rue Pédemas, papa put prendre ses fonctions. Maman se mit à la caisse et les spectateurs purent entrer dans la salle.
Ce jour-là on jouait « les deux orphelines » …..
Je m’assis au premier rang de l’orchestre et pleurais toutes les larmes de mon corps. Je relâchais trop de tensions accumulées ces derniers mois. Le sujet du film particulièrement triste m’a aidé à épancher ma peine.
Mes parents gardèrent de cette déconvenue un goût amer et se sentaient moralement responsables de l’éviction brutale de l’ancien directeur.
Mais la vengeance est un plat qui se mange froid  et le sort  du fautif se jouera quelque temps plus tard.



Je découvrais en même temps que mes parents notre nouveau lieu de vie.


                                                                                      
Le cinéma se trouvait (comme aujourd’hui) dans la petite rue Taillancier alors bordée de maisons de part et d’autre.
Le hall était assez étroit. Face aux portes vitrées de l’entrée des larges marches descendaient au sous-sol. Une jolie petite salle avec une scène et un bar avait dû servir autrefois pour des spectacles. Dans un réduit la chaudière au fioul faisait un bruit d’enfer.
A droite de la petite scène des toilettes et à gauche un bureau avec deux jolis fauteuils en cuir rouge.
Dans le hall de chaque côté de l’escalier deux petits comptoirs de forme arrondie. L’un servait pour la caisse, l’autre pour le congélateur.
On accédait à l’orchestre par des portes de part et d’autre de ces comptoirs et pour le balcon par une porte de chaque côté du hall.
La cabine de projection se trouvait tout en haut du balcon et possédait un escalier de secours extérieur en fer qui donnait dans la  rue des Bentres.
Sur la façade des grandes lettres s’illuminaient le soir formant le nom du cinéma
R E X.
Les fauteuils, confortables, reliés entre eux par des pieds en fonte, le capitonnage des portes intérieures ainsi que celui des comptoirs étaient en similicuir rouge.
Pas de doute ce cinéma était beaucoup plus beau que celui que nous possédions à Lormont.

Mes parents m’avaient inscrite au lycée de jeunes filles où je fis mon entrée le lendemain en cm2.
Je fus reçue par la directrice de l’établissement qui m’accompagna dans ma nouvelle classe et me présenta à mon institutrice Mme Rio. Celle-ci dit « je vous demande d’accueillir Colette qui vient de Bordeaux ». Elle désigna ma place et les leçons reprirent.

J’admirais ce bel établissement face à la cathédrale.
Au XVIII° siècle il avait été un séminaire et en gardait toute sa rigueur et sa beauté. Au centre de la cour d’honneur un grand massif circulaire servait à la récréation de sens giratoire pour les promenades. Les jours de pluie on se réfugiait sous les arches en briques rouges. On faisait le tour par petits groupes d’affinité dans un rythme unique afin de laisser toujours la même distance entre nous. Il était interdit de s’asseoir sous peine de sanction.

Les classes du rez-de-chaussée étaient consacrées aux primaires, aux 6° et 5°, au bureau de la directrice et de la surveillante générale, au bureau administratif, au parloir pour les pensionnaires, à la salle d’étude et au réfectoire.   L’appartement du concierge se trouvait dans le hall d’entrée.

Il nous accueillait le matin à 8 h et gare aux retardataires. La lourde porte se fermait pour une ou deux minutes de retard.
C’était alors, soit l’excuse de l’élève devant la surveillante générale ou bien si récidive un renvoi à la maison.
Sauf cas exceptionnel nous respections les règles et elles étaient nombreuses : le lundi matin inspection des tabliers (bleu) avec le nom inscrit en haut à droite, se mettre en rang avant d’entrer en classe, ne s’asseoir que lorsque le maître ou le prof le signifiait, lever le doigt pour prendre la parole etc… le tout EN SILENCE. Les heures de colles pleuvaient à la moindre incartade et  la surveillante générale était un dragon.

Face à la lourde porte d’entrée, de l’autre côté de la cour, un grand et large escalier desservait les étages à la fois à droite et à gauche. Au premier pour les classes de la 4° à la terminale et au second pour les dortoirs.

Le concierge sonnait la cloche dès potron-minet pour les internes et à toutes les heures de changement de cours comme à tout autre changement. Elle avait une importance capitale dans la vie du lycée mais certainement dans la vie du concierge lui-même.
Un jour quelques « rebelles » trouveront une solution radicale qui fera scandale … mais c’est une autre histoire.

Depuis son appartement le gardien avait aménagé un petit réduit. Il y faisait commerce pendant les récréations : chocolatines, bonbons et autres friandises, quelques fournitures de secours et même des timbres.

Je m’adaptais petit à petit à mon nouvel univers scolaire. On ne me posait guère de questions sur ma ville natale mais dès que je nommais la profession de mes parents il y avait des « comme tu en as de la chance tu peux voir tous les films ».
Vu sous cet angle évidemment !!!


                                                                      Le lycée

Nous étions toujours sans logement. L’appartement promis n’était pas prêt malgré les promesses. Mon père rendait visite régulièrement à la propriétaire qui habitait près du cinéma et chaque fois il revenait avec une mauvaise nouvelle.

Enfin au bout de 15 jours passés à l’hôtel nous avons pu aménager au n° 10 place Albert Tournier (ancienne place des Vékisses) à quelques centaines de mètres du cinéma.

Mais hélas nouvelle déception. Point d’appartement rénové.  Il était toujours à l’état de projet.
Il a fallu se contenter, provisoirement nous dit-on, de pièces vétustes sans aucun confort.
Au rez-de-chaussée, donnant sur la place, deux grandes pièces séparées par un couloir dallé de carreaux de ciment aux motifs géométriques (très tendance aujourd’hui) l’une servant de cuisine sans évier ni écoulement d’eau, l’autre de l’autre côté du couloir servant de salle à manger.
A l’étage deux grandes pièces semblables à celles du rez-de-chaussée seront nos chambres donnant également sur la place. Les tapisseries étaient défraîchies et décollées par endroit.
Ce n’était pas le paradis.
A l’extérieur, sur le côté gauche d’une cour pavée de briques rouges des petites annexes abritaient un grand bassin en pierre avec l’eau courante, froide, et des toilettes, façon « cabane au fond du jardin ».
Le seul avantage de cette grande maison c’était son jardin, immense, entouré de grands murs de pierre. Tout au fond on accédait par quelques marches à une charmante gloriette avec vue sur le canal et l’immense place de Milliane.
Cet endroit a toute de suite été mon domaine, mon refuge, mon espace de jeux et de rêverie.
Tous ces bouleversements m’avaient rendue solitaire, repliée sur moi-même alors je me racontais des histoires.


Je me souviens de ce froid terrible de l’hiver 1954 où les conduites d’eau étaient gelées.
Après la classe, malgré le chaud manteau et les gants fourrés j’avais les doigts engourdis et lorsque j’arrivais à la maison, mon père avait préparé une bassine d’eau chaude dans laquelle je trempais mes mains pour me réchauffer.
Maman lavait le linge dehors dans le grand bassin en pierre et avait des engelures sur les mains. Elle passait de la pommade pour adoucir ses plaies.

Nous nous tenions essentiellement dans la pièce cuisine où le poêle à charbon et la cuisinière ronflaient.
La toilette pour chacun se passait dans une intimité relative grâce à un paravent de fortune. L’eau chaude était versée dans des bassines et pour économiser l’eau on commençait par le haut.
Une fois par semaine nous avions pris l’habitude d’aller « aux bains douche » sur le bord du canal près du jardin public. On attendait son tour dans une atmosphère embuée qui sentait le savon de Marseille et l’humidité.  

 Je fis connaissance assez rapidement et timidement avec les enfants du quartier : Maguy, Monique, Michel, Jeanine, plus tard Simone, Jeannot, Pierrot …
Je partagerai avec eux les années d’adolescence et de jeunesse. Nous tisserons des liens forts, des liens solides, des liens qui durent encore aujourd’hui après tant d’années.
On dit de nous que nous avons eu une jeunesse dorée.

Je repris également mes cours de catéchisme à l’église Notre Dame du Camp, notre paroisse. J’y ferai ma communion solennelle en juillet 1955. Comme je regrettais la petite Eglise St Martin de mon enfance. Modeste à l’extérieur et riche de décors à l’intérieur, elle est située à mi-parcours du bourg, elle le partage en deux à la fois en regardant vers  la colline boisée  et  les quais de la Garonne .


Papa faisait connaissance avec sa nouvelle cabine. Grâce à deux projecteurs 35 mm il n’y avait plus de coupure au milieu du film comme pour le 16 mm.  Les bobines, dont le nombre varié selon la longueur du film, étaient montées en deux parties, une pour chaque projecteur. Le partage devait se faire à la fin d’une scène et clac le changement se faisait. Le spectateur ne se rendait pratiquement pas compte de cette manœuvre surtout si le projectionniste était attentif.

Cependant quelques fois le film cassait. On entendait alors un grand « oh » dans la salle. On allumait la lumière pendant ce temps dans la cabine de projection un collage au scotch était exécuté le plus rapidement possible et tout repartait.
A la fin des séances le film était remonté sur les bobines d’origine. Le sac repartait alors dans les bureaux du distributeur de films. Une vérificatrice faisait un contrôle professionnel avant que la copie ne reparte vers une autre salle.
Pour maman aussi il y avait du progrès. Sur le comptoir de la caisse une machine en métal était intégrée dans laquelle on plaçait les rouleaux de tickets pour l’orchestre et pour le balcon, les prix étant différents.
Il suffisait d’actionner une petite manette et les tickets sortaient. Ensuite on inscrivait au dos le numéro de la place choisie à l’aide d’un gros crayon aux bords rectangulaires, bleu pour l’orchestre, rouge pour le balcon, d’après un plan de la salle qui était changé à chaque séance.

La confiserie était livrée par camion, adieu les visites dans le grand magasin de confiserie bordelais et adieu aussi les confections de sachets sur la table de notre cuisine.
La grande nouveauté c’était la livraison de cornets glacés aux multiples parfums. Viendront ensuite les bâtonnets.
Une fois les boîtes bien rangées dans le congélateur elles étaient recouvertes de neige carbonique qu’il ne fallait surtout pas toucher à main nue de peur de se brûler.

Au moment des séances chacun prenait ses fonctions. Mon père à la projection, ma mère à la caisse, deux ouvreuses une pour l’orchestre l’autre pour le balcon. Elles changeaient de poste chaque semaine à cause des escaliers du balcon assez raides et qu’il fallait monter et descendre pour accompagner les spectateurs.
Pour les retardataires il y avait toujours la lampe électrique.

Deux contrôleurs se tenaient de chaque côté des portes. Ils coupaient les talons du ticket qui ensuite étaient rangés dans une enveloppe sur laquelle on inscrivait la date, le nombre ainsi que le numéro du départ et de fin et enfin le titre du film.
A l’entracte le contrôleur donnait un ticket de sortie en carton.
La présence d’un policier et d’un pompier était requise. Quelques fois un contrôleur des finances venait à l’improviste.
Tout ce petit monde bavardait une fois le film commencé.
Certains soirs se mêlait au groupe le représentant d’une maison de distribution de films qui faisait sa tournée dans le département.
Si la conversation s’animait un peu trop maman faisait « chut » pour ne pas perturber la projection.
Il y avait de l’ambiance dans le hall.


                                                  
La seule photo que je possède du cinéma REX
Maman à gauche prépare les panières pour l’entracte.
1956 photo du film « Ok Corral » en témoigne.

De mon côté, je restais seule pendant que mes parents travaillaient.
Depuis ma plus tendre enfance j’étais habituée à voir partir mes parents le soir. Mon père lorsqu’il faisait « les tournées » dans les petits villages bordelais avec son 16 mm et ma mère qui s’occupait du Familia mais celui-ci était en-dessous de notre appartement je ne risquais pas grand-chose.
A Pamiers c’était différent. Les séances étaient plus nombreuses, un seul jour de relâche le lundi et la maison était loin du cinéma. En cas de problème je n’avais aucun moyen de communication sinon d’aller sonner chez les voisins.
J’ai apprivoisé cette solitude. Elle ne fut pas mon ennemie bien au contraire.

Nous approchions des fêtes de fin d’année. J’envoyais de jolies cartes de vœux de ma plus belle écriture à la famille, aux amis, en leur disant que tout allait bien pour les rassurer.
La programmation des films de fin d’année collait à la réalité.
Cette semaine de Noël le REX affichait « Noël blanc » avec Bing Crosby, Dany Kaye et Rosemary Clooney.
Les photos scotchées sur les portes vitrées montraient un aperçu de cette comédie musicale hollywoodienne.
La chanson du film White Christmas chantée par Bing Crosby devint vite un grand succès.

Mes parents n’étaient pas croyants ni pratiquants. Je ne me souviens pas les avoir vus dans l’Eglise St Martin alors que moi j’étais tenue à la messe, à la confession et à la communion tous les dimanches surtout la dernière année de catéchisme.

Ce fut une réelle surprise lorsque mon père nous annonça que nous allions assister à la messe de minuit.
Dans la semaine précédant le soir de Noël, les dames du patronage étaient venues mettre en place la crèche dans l’une des chapelles.
Je n’avais jamais vu de personnages aussi grands et aussi ressemblants. La vierge Marie, Joseph, l’archange Gabriel, les bergers, l’âne, le bœuf, les moutons, le berceau fait de paille qui recevra le petit Jésus, tout y était plus vrai que nature. J’étais émerveillée et je n’étais pas la seule.

Ce soir de Noël, maman et moi étions arrivées en avance afin d’avoir des places assises dans cette grande église. Mon père viendrait nous rejoindre dès que la séance de cinéma serait terminée.
Il ne nous trouva pas tellement l’église était pleine de monde. Il se tint au fond au milieu d’une foule qui comme lui n’avait pu trouver de place assise.
C’est alors que le sacristain, fidèle spectateur au cinéma, le reconnu et lui dit « suivez-moi Monsieur Bros, j’ai une place pour vous ». Mais la place en question se trouvait dans les premiers rangs réservés aux pratiquants assidus.
Plus tard, mon père nous racontera sa gêne, lui qui n’avait pas de missel, ne connaissait rien au rituel de la messe et n’avait jamais communié. « On ne m’y reprendra pas » dira-t-il ».

Ce soir-là j’assistais à ma première messe de minuit dans une grande église parée de toutes ses lumières.
Les chants étaient assurés par une chorale (dont je ferai partie plus tard). L’orgue que j’entendais pour la première fois faisait résonner des sons qui emplissaient l’église d’une musique puissante. Notre voisin, Mr Fauré qui avait une voix de ténor se plaçait sur un balcon tout près de l’orgue et entamait « Minuit chrétien ».
Un vrai spectacle !

En rentrant dans notre modeste demeure par la rue Lakanal  nous avons mangé des huîtres avec des petites saucisses grillées. Une tradition bordelaise qui a tendance à disparaître aujourd’hui.

L’année 54 s’achevait toujours dans un froid rigoureux.
En ce premier jour de l’an appaméen nous souhaitions vraiment que nos jours soient meilleurs.

                                                                        ******

Le 1° février 54 l’abbé Pierre prononcera un appel mémorable sur les ondes de Radio-Luxembourg qui deviendra célèbre sous le nom « d’appel de l’abbé Pierre ».
Il sera récolté 500 millions de francs au profit des sans abri dont deux par Charlie Chaplin qui dira « je ne les donne pas je les rends. Ils appartiennent au vagabond de j’ai été et que j’ai incarné ».



                                                                       A suivre …

 
                               
 
 



Propriétaire : C. Bros-Rouquette  Support Technique J-P Perrault

Audio Player de Colette
 1. Gérard Berliner -Louise-
00:00
 2. Madonna - Don't Cry For Me Argentina (Official Video)
00:00
 3. Il était une Fois dans l'Ouest
00:00
 4. Le Clan Des Siciliens
00:00
 5. L'homme qui en Savait Trop
00:00
 6. Le Grand Blond avec une Chaussure Noire
00:00
 7. Out Of Africa
00:00
 8. Lawrence d'Arabie
00:00
 9. Vangelis - Chariots Of Fire
00:00
00:00
00:00
Retourner au contenu