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L’AMILCAR

Le cinéma n’était pas la seule passion de mon père.

Il s’intéressa très vite à l’automobile.
Les propriétaires de la boulangerie de Créon, en Gironde, dans laquelle il était employé, possédaient une voiture, chose rare dans les années 30. C’était un signe fort de reconnaissance sociale. Sauf que Monsieur le boulanger ne savait ni sortir ni entrer la voiture du garage.
Le dimanche, jour du seigneur et des promenades dominicales, Monsieur et Madame les boulangers, tout endimanchés, montaient dans leur superbe auto (comme dirait Charles Trenet) après que mon père ait fortement tourné la manivelle et sorti la voiture du garage. Au retour, le couple, ravi de leur promenade, laissait à mon père le soin de « ranger » le véhicule. Il en assurait également l’entretien et les petites réparations, ce qui n’était pas une mince affaire pour l’époque.
Il avait une expérience en la matière. Tous les jours il livrait le pain dans le village et les fermes reculées, s’il tombait en panne il fallait réparer sur place. Il ne pouvait pas compter sur la venue rapide d’un dépanneur.

Arrivés à Lormont, après leur mariage, c’est en 1936 que mes parents firent l’acquisition d’une Renault. Elle avait l’allure d’une voiture de course, mon père disait qu’il n’y en avait eu que cent exemplaires. L’arrière avait un « cul » pointu c’est ce que j’ai toujours entendu dire lorsqu’il évoquait cette voiture. Ma mère n’émit jamais aucune opinion sur cet engin, peut-être le trouvait-elle trop « sport » ?
A cause de cela, ou peut-être à cause de son utilité restreinte, la voiture fut vite revendue à un ami plâtrier qui lui coupa le « cul » et fabriqua un coffre en bois afin de transporter des briques et autres matériels.


Elle avait tout de même de l’allure ! Modèle restauré

En 1938, date de sa sortie, mon père acheta une voiture de loisir que j’ai tant aimée et qui a fait partie de toute mon enfance :
L’Amilcar B38 compound (pour les connaisseurs). Elle était magnifique : gris métallisé, intérieur cuir rouge et surtout décapotable.
C’est sur cette voiture que ma mère passa son permis de conduire en 1939 alors que mon père partait à la guerre.

    Modèle restauré actuel
Andernos les bains 1951
Les cousins germains de mon père
Mes parents à droite et moi

Une chance que les allemands ne l’aient pas réquisitionnée où bien volée lors de la débâcle.

        ******

L’année de mes 4 ans, en 1947, nous fîmes un voyage dans le Lot, destination le gouffre de Padirac et Rocamadour.
Nous nous aventurâmes par les routes inconfortables de la France d’après-guerre.
Concernant ce séjour je n’ai qu’un petit souvenir vague mais assez précis tout de même. Le reste fait partie des histoires que l’on raconte sans cesse autour d’un repas en se remémorant des moments qui font sourire ou pleurer.

Lorsque mes parents se présentèrent devant l’entrée de la grotte tenue par une dame, celle-ci leur dit « la petite ne peut pas descendre c’est bien trop dangereux. Les marches sont très glissantes ».
Mon père lui dit alors : « est-ce que vous consentiriez à garder notre fille le temps de la visite ? » devant la moue de la dame, mon père proposa alors « je vais demander à ma fille si elle consent à rester avec vous en lui expliquant pourquoi. Si elle accepte vous n’aurez aucun souci mais si elle refuse nous renoncerons à la visite ».
J’acceptais la proposition de mon père et la dame consentit à me garder, avec une certaine crainte sans doute. Elle me donna des jouets et j’attendis sagement mes parents.
A leur retour la dame déclara « la petite a été très sage ! ». « Je vous l’avais dit rétorqua mon père gonflé de fierté.

                                                                       ******

Dans l’hiver 1950, le mari d’une cousine germaine de papa décéda. Il était charcutier et venait de s’électrocuter. J’appris alors cette étrange façon de mourir dont je ne comprenais pas tout à fait le sens. « Il avait touché le jus » dirent mes parents.
Le jus du café, le jus des chaussettes, je n’osais pas poser la question. Je me promis de ne plus toucher à aucun jus de peur de mourir.

Ces cousins habitaient Roumégoux dans le Cantal, à 28 km d’Aurillac et à plus de 300 km de Bordeaux.
Mes parents avaient décidé de faire le trajet de nuit pour être arrivés le matin de l’enterrement.
Ils installèrent un lit de fortune sur la banquette arrière de la voiture où j’étais sensée dormir jusqu’au lendemain.
Sauf que lorsqu’au petit matin on attaqua les virages du Cantal j’ai eu le mal de mer, une fois, deux fois et ainsi de suite.
Je descendais de la voiture, je me soulageais et j’allais mieux. L’air froid me faisait du bien. Mais il fallait repartir.
Mes parents ne savaient plus quoi faire. Je suis passée à l’avant, mon père me parlait, me disait qu’il fallait que je regarde la route, que je compte les kilomètres inscrits sur les bornes blanches à tête rouge…

C’est exténués que nous sommes arrivés par un froid hivernal et glacé à Roumégoux, ce petit village du Cantal.
Nous avons fait sensation dans ce pays reculé qui n’avait pas l’habitude de voir des voitures de ce genre ou pas de voiture du tout.

Je revois mon père gravir les marches extérieures d’une maison ancienne. La porte s’ouvrit et une femme vêtue de noir se jeta dans ses bras. Tout était austère, les maisons, les pierres, et ce noir de deuil partout. Je me sentais totalement dépaysée, je tenais fortement la main de ma mère pour me rassurer.
On entra dans la maison bien chauffée par une cuisinière encastrée dans la cheminée. Il y avait du monde partout, dans toutes les pièces. On me fit boire une tisane et on me présenta à des cousins, des cousins et encore des cousins.
Je ne savais pas que j’avais une si grande famille. Mon père, lui, était très à l’aise. Il parlait patois avec tout le monde y compris avec ses cousins.

Nous nous dirigeâmes vers l’église pratiquement contiguë à la maison. Le froid était si rigoureux que je ressens encore cet étau glacé nous tombant sur les épaules. Ma mère et moi n’avons pas pu attendre la fin de la cérémonie, nous étions transies de froid et la fatigue du voyage aidant nous avions besoin de repos.
Il y eut un grand repas dans la salle commune où des tables avaient été dressées en supplément. Toute l’assemblée mangeât dans un grand brouhaha, devant soupes fumantes, terrines, saucissons, saucisses, jambon et autres charcutailles.
Je trouvais cela étrange que tout ce monde, tout de noir vêtu, soit assez gai un jour de deuil. C’était mon premier enterrement.

******

Lorsqu’il faisait beau on « décapotait » l’Amilcar.
Une année, les cousins de Paris sont venus en vacances.
Par une belle journée d’été nous sommes partis vers notre petite maison de Lacanau océan.
Les parents avaient pris place sur les sièges avant et arrière et Jacky et moi dans le coffre qui s’ouvrait à contrario de ceux d’aujourd’hui, ce qui permettait de s’asseoir dans un inconfort total.
Nous nous sommes arrêtés en chemin pour pique-niquer dans les bois de pin et en route nous faisions de grands signes aux personnes que nous rencontrions, elles répondaient pareillement.
Y’a d’la joie, bonjour, bonjour les demoiselles …

  ******

En 1952, nous sommes allés fêter mes neuf ans à Paris, chez ces mêmes cousins.
Une expédition de taille !
Je ne me souviens pas avoir eu « le mal de mer » pendant le trajet et je n’ai aucun souvenir non plus de ce trajet qui avait dû être certainement très long.
Raymond et Madeleine habitaient une petite maison à Rueil-Malmaison.
Jacky, leur fille, travaillait et avait un fiancé. De douze ans mon ainée elle me quittait d’une certaine façon.
Raymond, le cousin de papa, était employé à la Ste Shell comme ingénieur. Lui aussi avait quitté son Aveyron natal. Il était « monté » à Paris. Il avait gravi les échelons dans l’entreprise avec beaucoup de volonté. Avec son accent parisien très prononcé il racontait toujours des histoires passionnantes avec beaucoup d’humour.
Madeleine était une petite femme, un peu boulotte mais avec un cœur immense. Elle a eu envers moi toute sa vie des attentions touchantes.

Nos cousins s’étaient mis en quatre pour faciliter notre découverte de la capitale.
Madeleine avait réservé des places au théâtre du Châtelet pour une représentation du « chanteur de Mexico » avec Luis Mariano le chanteur adulé des dames.
J’avais déjà assisté à une opérette au Grand Théâtre de Bordeaux mais le plaisir était décuplé dans la capitale.
Nous parcourions les coursives sur les tapis de velours rouge lorsqu’une ouvreuse nous demanda les billets et nous dit en s’excusant profondément « nous sommes désolés mais ce soir Luis Mariano est souffrant, c’est Rudy Hirigoyen qui le remplace ».
Une grande déception se lut alors sur les visages de Madeleine et de maman.
L’incident fut assez vite oublié pour faire place à l’émerveillement d’un spectacle magnifique : décors, costumes et chants, tout était parfait.

Le lendemain ce fut la visite du zoo de Vincennes. Je n’avais jamais vu autant d’animaux exotiques, pour ainsi dire jamais car je ne me souviens pas avoir vu un spectacle de cirque à Lormont.
La promenade dans ce grand parc était surprenante et intéressante, cousine Madeleine faisait les commentaires.

                              

                                       Devant les éléphants et les flamants roses

La Tour Effel, les invalides avec l’énorme sarcophage de Napoléon, l’Arc de Triomphe… Nous roulions dans ce Paris encombré de peu de voitures, émerveillés par tant de monuments splendides. J’avais beaucoup de chance.

Ce fut aussi le château de St Germain en Laye et celui magnifique de Versailles.

    
       
                      St Germain en Laye                                              Versailles

On fit aussi une très jolie promenade dans le bois de Saint Cucufa, ancienne propriété de Joséphine de Beauharnais.
J’adore ce nom « Saint Cucufa ».

Le dernier soir Madeleine avait servi le plat typiquement aveyronnais « l’estofinade ». L’estofich est un mot rouergat pour désigner le poisson séché que l’on pendait à la cheminée.
A base de pommes de terre, d’œufs, de morue et de graisse d’oie ce plat consistant se mange normalement l’hiver par des journées de grand froid.
Mais en ce printemps 1952, autour de la table se tenaient des cousins qui se remémoraient avec bonheur la cuisine de leur enfance.
On termina le repas par un gâteau flanqué de neuf belles bougies que je soufflais joyeusement.
                                               
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Tonton Marc et tantine Henriette n’ont jamais eu de voiture. Mon père leur proposait souvent de les emmener en balade. Mais ils refusaient, à regret, l’obligation de nourrir les animaux était un empêchement capital.
Ils ne purent jamais partir plus d’une journée ensemble et cela pratiquement toute leur vie. A la retraite et pour arrondir leurs maigres pensions ils élevaient encore des animaux.

C’est pourquoi, à force d’insistance, nous avons fait exceptionnellement deux voyages identiques l’un avec mon oncle et mon cousin Francis et l’autre avec ma marraine et ma cousine Christiane.

Lourdes était la destination en passant par les cols pyrénéens du Tourmalet, le col d’Aspin et surtout le cirque de Gavarnie.
La ville de Lourdes ne m’a pas laissé un souvenir joyeux. J’avais pourtant commencé le catéchisme mais je n’étais pas pieuse.
Mes parents voulaient faire plaisir à mon oncle mais surtout  à ma tante qui rêvait de voir la basilique et ramener un petit souvenir.
Un pèlerinage bien plus grandiose que celui de Verdelais.

En grimpant les cols, mon père disait à ma mère « regarde comme c’est magnifique », mais ma mère regardait fixement devant elle, elle avait le vertige.
Nous avions les yeux écarquillés d’étonnement. Nous n’avions jamais vu de montagnes. Mon oncle et mon cousin étaient encore plus émerveillés que nous, c’était leur premier voyage hors de leur chère campagne.

Nous prîmes des photos en haut du Tourmalet et nous fîmes tranquillement la descente vers Lourdes. Curieusement je n’ai pas été malade en voiture.
Je me souviens de l’impression enivrante que j’ai ressentie devant le cirque de Gavarnie.

Plus tard, dans ma vie, j’aurai l’occasion de voir des paysages plus grandioses encore mais ce souvenir a le goût de l’enfance, du bonheur partagé avec ma famille et les premiers grands émois devant la beauté de la nature.

                                                      

Mon oncle prend la photo en haut du Tourmalet, il n’y avait pas foule à l’époque.
On devine sur la gauche l'aile de l'Amilcar.     
                                                                                 
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De 1938 à 1954, l’Amilcar a fait partie intégrante de notre famille à l’époque où possédait une voiture était un luxe.

J’aimais surtout lorsque ma mère prenait le volant et m’emmenait à Bordeaux. J’étais tellement fière de l’indépendance qu’elle avait obtenue sans revendication, sans conflit avec mon père qui lui aussi était très fier d’elle.
Un couple complémentaire, moderne, pas si fréquent à l’époque.

Aujourd’hui ces deux voitures, dont je viens d’évoquer à travers elles quelques souvenirs, sont des voitures de collection.
Malgré tous les salons, musées, ou expositions de collectionneurs, je n’ai jamais revue « ma chère Amilcar ».

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